
Bail commercial : compétence matérielle, territoriale et élection de domicile
-Par une série d’arrêts infirmatifs, la Cour d’appel de Paris (CA Paris, pôle 1, chambre 3, 24 novembre 2024) rappelle que si les parties à un bail commercial ont la qualité de commerçantes, elles peuvent déroger au principe de compétence territoriale du lieu de situation de l’immeuble au moyen d’une clause très apparente. Cette série de décisions est également l’occasion de faire un point sur la clause d’élection de domicile généralement incluse dans le bail commercial.
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I. Compétence matérielle et territoriale de principe en matière de baux commerciaux
Compétence matérielle exclusive
Pour mémoire, les contestations portant sur le statut des baux commerciaux relèvent de la compétence du Tribunal Judiciaire en vertu des articles R211-3-26, n°11 et R211-4 du Code de l’organisation judiciaire :
Article R211-3-26, 11° du COJ :
« Le tribunal judiciaire a compétence exclusive dans les matières déterminées par les lois et règlements, au nombre desquelles figurent les matières suivantes :
(…)
11° Baux commerciaux à l’exception des contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, baux professionnels et conventions d’occupation précaire en matière commerciale ».
« I. - En matière civile, les tribunaux judiciaires spécialement désignés sur le fondement de l’article L211-9-3 connaissent seuls, dans l’ensemble des ressorts des tribunaux judiciaires d’un même département ou, dans les conditions prévues au III de l’article L211-9-3, dans deux départements, de l’une ou plusieurs des compétences suivantes :
(…)
2° Des actions relatives aux baux commerciaux fondées sur les articles L145-1 à L145-60 du Code de commerce ».
La répartition de la compétence matérielle entre le Tribunal Judiciaire et son Président est rappelée aux alinéas 1 et 2 de l’article R145-23 du Code de commerce :
« Les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace. Il est statué sur mémoire.
Les autres contestations sont portées devant le tribunal judiciaire, qui peut, accessoirement, se prononcer sur les demandes mentionnées à l’alinéa précédent ».
NB : Depuis le 1ᵉʳ janvier 2025 et par exception aux dispositions qui précèdent, les Tribunaux des Activités Économiques dits « TAE » sont compétents pour connaitre de toutes les actions et contestations relatives aux baux commerciaux qui sont nées de la procédure collective du débiteur (sauvegarde, redressement ou liquidation) et qui présentent des liens de connexité suffisants avec elle.
article 26 de la Loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027
Compétence territoriale en matière de bail commercial.
L’alinéa 3 du même article R145-23 du Code de commerce précise enfin que :
« La juridiction territorialement compétente est celle du lieu de la situation de l’immeuble ».
Cette compétence territoriale est par principe immuable : toute clause qui y déroge est réputée non-écrite ! Du moins, à la lecture de la première partie de l’article 48 du Code de procédure civile qui dispose :
« Toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite… ».
L’exception à cette compétence territoriale de principe se trouve dans la seconde partie de l’article susvisé :
« … à moins qu’elle n’ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu’elle n’ait été spécifiée de façon très apparente dans l’engagement de la partie à qui elle est opposée ».
La dérogation à la compétence territoriale de principe, attribuée à la juridiction du lieu où se situe l’immeuble en matière de baux commerciaux, est donc admise sous réserve de respecter deux conditions.
II. Dérogation à la compétence territoriale de principe sous deux conditions
Ainsi que précisé par les dispositions combinées des articles R145-23 du Code de commerce, R211-3-26 et R211-4 du COJ, et 48 du Code de procédure civile :
- En matière de baux commerciaux, la juridiction compétente est celle du lieu de situation de l’immeuble ;
- Il n’est pas possible d’attribuer la compétence à une juridiction située dans un autre lieu ;
- Sauf si la clause dérogatoire est libellée entre commerçants ET de façon très apparente dans le bail commercial.
La jurisprudence fait une constante application de ces dispositions combinées [1].
C’est fort logiquement que la Cour d’appel de Paris a donc récemment confirmé sa position, par une série d’arrêts infirmatifs (notamment n°24/11779 [2] et 24/11828 [3]) rendus le 24 octobre 2024 en ces termes :
« Il se déduit de la combinaison de ces textes (R145-23 du Code de Commerce, R211-4 du COJ et 48 du Code de procédure civile) que les parties contractant en qualité de commerçantes un bail commercial, peuvent prévoir par une clause, spécifiée de façon très apparente dans l’acte, de déroger à la règle prévue par l’article R145- 23 précité selon laquelle : "La juridiction compétente est celle du lieu de la situation de l’immeuble", sous réserve de respecter les dispositions de l’article R 211- 4 du Code de l’organisation judiciaire.
Au cas présent, (…) les deux parties, commerçantes, ont contracté, en cette qualité, un bail commercial ayant pour objet un immeuble situé (…) dans le département de la Seine-Saint-Denis.
Le bail contient une clause, spécifiée de façon très apparente, ainsi libellée : "Article 37 - Compétence : Tout litige relatif aux présentes et à leur suite sera de la compétence des Tribunaux de Paris". (…) La juridiction choisie par les parties est déterminable. Cette clause remplit, en conséquence, les exigences de l’article 48 du Code de procédure civile précité. (…) Le Tribunal judiciaire de Paris est donc territorialement compétent pour connaître du litige ».
Cette position constante n’a, semble-t-il, pas encore été portée devant la Cour de cassation ni, par conséquent, cassée par la Haute Juridiction.
En conclusion :
- Compétence matérielle du Président du Tribunal Judiciaire pour les contestations relatives aux loyers commerciaux ;
- Compétence matérielle du Tribunal Judiciaire pour les autres contestations portant sur le statut des baux commerciaux ;
- Compétence exceptionnelle du TAE dans les villes où il en existe un pour statuer sur toute contestation relative au bail commercial née de la procédure collective du débiteur ;
- Compétence territoriale de principe du lieu de situation de l’immeuble objet du bail commercial ;
- Possibilité de confier la compétence territoriale à un autre Tribunal Judiciaire (et par extension au TAE s’il en existe un) si les parties sont toutes les deux commerçantes et si la clause dérogatoire est libellée de façon très apparente dans le bail commercial.
III. Focus sur la clause d’élection de domicile dans le bail commercial
Le rappel de le compétence matérielle et territoriale de la juridiction en matière de bail commercial est l’occasion de faire un point sur la clause d’élection de domicile contenue dans le bail.
En règle générale et aux termes du contrat, les parties élisent domicile en leur siège social respectif.
Cette clause type présente un certain désavantage pour le bailleur.
En effet, il arrive que le locataire ne transfère pas son siège social dans les locaux loués. Son siège social peut donc se trouver dans un département différent, voire une région totalement distincte du local loué.
Lorsque le locataire ne respecte pas ses obligations susceptibles d’être sanctionnées par l’acquisition de la clause résolutoire du bail commercial (exemple courant : non-paiement des loyers), le bailleur doit délivrer un commandement de faire ou de payer au siège social du locataire, avant d’envisager toute assignation dans l’hypothèse où le commandement resterait infructueux à l’issue d’un délai d’un mois suivant sa signification (article L145-41 du Code de commerce).
Or, il s’avère que certains locataires, peu diligents, changent de lieu de siège social, sans prévenir le propriétaire et sans mettre à jour les informations figurant au Registre du Commerce et des Sociétés. Le bailleur fait alors face à un siège social vide, parfois sans adresse de transfert connue, et se retrouve dans l’impossibilité de délivrer le commandement de payer à la personne du locataire.
Pour prévenir cette difficulté, il peut être conseillé au bailleur de prévoir que l’élection de domicile du preneur se fait dans les locaux loués : Il est en effet admis qu’un bailleur de locaux commerciaux qui poursuit en paiement la société locataire peut valablement notifier un commandement de payer à l’adresse des lieux loués lorsque le bail comporte une clause d’élection de domicile dans ces lieux [4].
Conclusion.
De même que pour la clause dérogatoire à la compétence territoriale de principe du lieu de situation de l’immeuble, il est recommandé aux parties de libeller cette clause d’élection de domicile dans les lieux loués de façon très apparente dans le bail.
Notes de l'article :
[1] Voir : CA Paris, 27 juin 2001, n°2001/6069 ; CA Paris, 4 juin 2009, n°08/18149 ; CA Paris, 25 novembre 2016, n°16/08557 ; CA Paris, 26 juin 2020, n°19/19051.
[2] https://www.dalloz-actualite.fr/sites/dalloz-actualite.fr/files/resources/2024/11/2024_10_24_-_1c3_rg_ndeg24_11779_-_baux_commerciaux_et_clause_attributive.pdf
[3] https://www.dalloz-actualite.fr/sites/dalloz-actualite.fr/files/resources/2024/11/2024_10_24_-_1c3_rg_ndeg24_11828_-_baux_commerciaux_et_clause_attributive.pdf
[4] Cass. 3e civ. 29-11-2005 n°04-17.652 : RJDA 3/06 n° 233.
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