Nullité de la vente immobilière pour vice du consentement (dol)
-L’agent immobilier qui a participé à la négociation du contrat de vente peut être tenu de garantir l’insolvabilité du vendeur et de restituer à sa place le prix de la vente annulée, lorsque l’agent a commis une rétention dolosive d’information ayant vicié le consentement de l’acheteur.
Le Notaire qui n’a pas participé à la négociation, et qui est seulement intervenu pour recevoir l’acte authentique de vente, ne saurait voir sa responsabilité engagée sur le fondement du manquement au devoir de conseil.
Cass, Civ. 1ère, 28 juin 2023, n°21-21.181
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I) Le contexte
Mme W., acquéreur, conclut avec une société venderesse un contrat de réservation en vue de l’acquisition d’un bien compris dans un ensemble immobilier. Le contrat prévoit que le bien sera loué à usage de résidence de tourisme au profit d’une autre société exploitante, selon un projet de bail commercial joint en annexe du contrat. L’opération intervient dans une démarche de défiscalisation. Le contrat de réservation est négocié et conclu par l’intermédiaire d’une agence immobilière, dont il sera démontré plus tard qu’elle n’ignorait pas que l’exploitation de la résidence de tourisme était déficitaire.
Une SCP Notariale intervient de façon régulière dans l’opération et établit notamment le règlement de copropriété de l’ensemble immobilier, lequel mentionne l’existence d’un bail commercial consenti à une société d’exploitation pour l’exercice de l’activité de résidence de tourisme. La SCP Notariale n’est toutefois chargée que de recevoir l’acte authentique et le règlement de copropriété, l’ensemble des éléments financiers ayant été préalablement négociés et contractualisés sous seing privé par les parties.
L’acte authentique de vente est reçu le 21 décembre 2009.
La société locataire exploitant la résidence de tourisme cesse de payer ses loyers et fait l’objet d’un redressement judiciaire. Le 4 mars 2013, l’administrateur informe Madame W., propriétaire du bien, que le bail commercial ne peut être poursuivi.
L’opération de défiscalisation s’avère ainsi infructueuse, de sorte que Madame W. assigne en nullité de vente pour vice du consentement et indemnisation de ses préjudices :
- Le vendeur,
- L’agent immobilier et son assureur,
- La SCP notariale et son assureur,
- L’organisme prêteur.
Le vendeur s’avère insolvable car placé en liquidation judiciaire, mais Madame W. décide de poursuivre son action en nullité de la vente, restitution du prix et réparation de ses préjudices. La Cour d’appel rejette ses demandes contre l’agent immobilier et la SCP Notariale. Madame W. forme un pourvoi en cassation.
II) Sur l’absence de responsabilité de la SCP Notariale
Le Notaire est tenu d’une obligation de conseil et d’éclairer les parties en attirant leur attention de façon complète et circonstanciée sur la portée des actes qu’il reçoit.
Toutefois, en l’espèce, la Cour considère qu’aucune circonstance n’a permis au Notaire de déceler une anomalie ou un déséquilibre contractuel lié à l’acte authentique. La Cour rappelle que le Notaire n’est pas intervenu au stade de la négociation ; que le contrat de réservation auquel était joint le bail commercial litigieux n’a pas été établi par ses soins et que, plus encore, le bail commercial a été signé hors la présence du notaire le lendemain de l’acte authentique de vente qui ne faisait référence à aucun bail.
Pour la Cour, le fait que le notaire ait été chargé de la réalisation de tous les actes authentiques ainsi que de l’élaboration du règlement de copropriété ne permet pas d’établir son intervention dans la commercialisation du projet par le vendeur, par l’intermédiaire de l’agent immobilier et du contrat de réservation.
La Cour retient que le Notaire n’a pas eu connaissance du projet de défiscalisation de sorte qu’il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir informé l’acquéreur sur les risques inhérents au bail commercial auquel il était étranger.
La responsabilité et la mise en cause de la SCP Notariale sont écartées et l’arrêt d’appel est confirmé sur ce point.
III) Sur la responsabilité de l’agent immobilier
En appel, la Cour constate le dol dont Madame W. est victime : elle confirme que la société d’exploitation était déficitaire lors de la signature du contrat de réservation auquel était annexé le bail commercial, ce que l’agent immobilier n’ignorait pas et s’était pourtant gardé d’en informer l’acheteuse.
La Cour d’appel juge néanmoins que la perte du bien immobilier résulte du seul choix procédural de Madame W d’avoir maintenu sa demande en nullité de la vente et restitution du prix alors que le vendeur s’était lui aussi révélé insolvable (placé en liquidation judiciaire).
Madame W. reproche à la Cour d’appel d’avoir dit la perte du bien étrangère à la faute de l’agent immobilier, alors que la faute de cet agent avait été constatée et que l’acheteuse n’aurait pas contracté l’opération si elle avait su que la société d’exploitation était déficitaire lors de la négociation du contrat de réservation.
Cela se comprend aisément puisque l’objectif de défiscalisation recherché par Madame W. ne pouvait être atteint qu’en cas d’exploitation prospère, et de paiement régulier des loyers commerciaux par la société exploitant l’activité de résidence de tourisme.
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel sur ce point.
La Cour juge que si la restitution du prix par suite de l’annulation du contrat de vente ne constitue pas un préjudice indemnisable, l’agent immobilier dont la faute a concouru à l’anéantissement de l’acte peut être condamné à en garantir le paiement en cas d’insolvabilité démontrée du vendeur.
En définitive, la Cour de cassation considère :
- Que l’agent immobilier a commis une faute sans laquelle l’acquéreur n’aurait pas contracté,
- Que l’agent immobilier est pour partie responsable de l’anéantissement de la vente pour dol,
- Que le vendeur insolvable n’est pas en mesure de restituer le prix,
- Que l’agent immobilier est donc tenu de garantir la restitution du prix de la vente dont l’annulation lui est, à tout le moins, partiellement imputable.
L’arrêt est rendu au visa de l’article 1240 du Code civil.
Le même raisonnement est adopté par la Cour s’agissant de la demande de Madame W. tendant à être indemnisée du préjudice relatif à la perte de loyers escomptés.
IV) Conclusion
La Cour de cassation rappelle que la responsabilité notariale pour manquement au devoir de conseil ne peut être engagée que pour les actes auxquels le Notaire a strictement concouru (interprétation restrictive).
La Cour de cassation rappelle en outre les caractéristiques du consentement vicié par le dol : l’acquéreur doit avoir été victime d’une rétention volontaire d’information déterminante de son consentement, en connaissance de laquelle il n’aurait pas contracté (ou pas dans les mêmes conditions).
Sur ce fondement, la Cour de cassation considère que l’agent immobilier ayant procédé à une rétention dolosive d’information est responsable, à tout le moins partiellement, de l’annulation de la vente immobilière sollicitée par l’acheteur dont le consentement a été vicié.
Si le vendeur est prioritairement tenu de restituer le prix de vente et d’indemniser la victime des autres conséquences de l’annulation, la Cour de cassation condamne l’agent immobilier à garantir l’acheteur lésé contre l’insolvabilité du vendeur.
En définitive, l’agent immobilier est susceptible d’être tenu de restituer l’intégralité du prix et d’indemniser l’acheteur des conséquences de l’annulation. Sur ce point, il conviendra de surveiller la décision d’appel qui sera rendue sur renvoi.
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